"Tu penses aller jusqu'à Brest pendant ton périple ?"

"Bien sûr ! En sept mois, c'est pas un tour de France qu'on peut faire, c'est trois !"

J'ajoutais même, pleine d'assurance, des "Si tu veux me rejoindre pour une semaine de randonnée à papattes, n'hésite pas !"

Ouais... J'étais un peu optimiste, avant le départ... Mais qu'est-ce qui m'a pris de penser que j'aurai le temps de faire plein de choses, en sept mois ? Qui m'a mis cette idée dans la tête, d'abord ? ... Moi ?? Ah oui, t'as raison, ça doit être moi.


Bon, mais il faut dire que l'été passé, on avait traversé la France en trois semaines. Sans s'presser. À l'aise Blaise. Et il me semble que mon père avait même fait un Guingamp/Haute-Savoie en dix jours. Alors sept mois, pfouah ! T'imagines tout ce qu'on peut faire ?!


En fait, que nenni. Je me suis vite rendu compte que je n'avançais pas au rythme que j'imaginais. Au bout d'un mois, j'étais encore dans le sud-est. Au bout de deux mois, j'étais toujours dans le sud-est... Durant la pause entorse, je me suis mise à calculer. J'ai un impératif le 20 août, où je dois être avec Hardie au sud du Puy-en-Velay. Ouh la vache, c'est vachement au sud, ça. Et quand je quitterai la Haute-Loire fin août, les deux derniers mois du périple pointeront leur nez, en même temps que les températures fraîches, voire froides. Pour des questions de degrés celsius, il est alors fort probable que je ne remette plus les roues dans la partie nord de la France. Ce qui veut dire que... en deux mois et demi, je dois avoir bouclé le nord-ouest ET le nord-est... Gloups. Ça me paraît vachement ambitieux ça.

D'autant plus ambitieux que j'étais alors à Millau. Donc encore à une certaine distance de la moitié nord de la France. Et qu'il me parait difficile de mieux optimiser mes journées, qui sont déjà archi-remplies. Entre 6h du mat', l'heure de mon réveil, et 23h, où je ferme enfin les yeux, je n'ai pas de répit.


Et donc, pour être le 20 août en Haute-Loire, quelles sont les options qui s'offrent à moi ?

  • Abandonner la partie nord de la France et passer mes sept mois dans la partie sud. QUOI ? Mais ça va pas ?! Non, non et re-non, ça c'est une option qui ne me convient pas du tout.
  • Arrêter les jours de pause ? Oui bon, c'est pas comme si j'en faisais souvent non plus.
  • Arrêter de mettre à jour TravelMap ? Proposition irrecevable.
  • Ajouter quatre heures à chaque journée ? Ah oui, ça, ça me convient bien. Ça me laissera le temps d'avancer un peu plus sereinement (1 heure), de dormir mon quota d'heure (1 heure), d'écrire des articles (1 heure) et de répondre à tous les messages que j'ai en retard (1 heure). Pas mal, la journée de 28 heures. Un peu juste, mais pas mal... Ah bon ? C'est pas possible ? Bah pourquoi tu me proposes ça, alors ?!


En conclusion ? Ça va être deux mois et demi de course.

La course est d'autant plus éprouvante qu'à partir de mi-juin, je vais enchaîner les nuits hors-camping. Alors pour être honnête, les soirées "logées" sont celles qui laissent les meilleurs souvenirs ! Mais en contrepartie, c'est une sacrée contrainte organisationnelle.

Une fois que les personnes qui nous invitent (ou plus fréquemment, chez qui on s'invite) sont averties de notre arrivée prochaine, il n'est plus question de changer la date. Et en général, ça se termine par des journées de pédalage à rallonge, parce que "ouiii, mais tu comprends, je voulais absolument faire ce petit détour" et que les kilomètres s'accumulent pendant ce temps-là... Et si la météo passe à la pluie ? Coincées. Obligées d'avancer en bravant les gouttes. Alors qu'on n'a pas signé pour ça. Il a toujours été très clair qu'en cas de pluie, c'était journée repos.

Sans parler du fait que quand on est logées, on papote tardivement. Et donc la nuit de sommeil est courte... Voire encore plus courte que ce que tu imagines ! Parce qu'une fois couchée, il faut encore que je mette à jour TravelMap (une heure et demi environ, encore plus si beaucoup de photos ou de bugs), que je prépare le parcours du lendemain, que je gère les rendez-vous avec les amis/famille suivants ... Aaaarg ! Je veux du repooos !

16 juin - 17 juin - 21 juin - 22 juin - 25 juin - 30 juin - 2/3/4 juillet - 7 juillet... À peine je pars de chez une connaissance que c'est déjà la course vers le suivant ! J'ai besoin d'une vraie pause... Vraiment. Au moins trois semaines où je puisse ne pas avoir de contrainte de temps ou de lieu. Parce que là, je m'épuise.

Mais ce n'est pas pour tout de suite... Le 11 juillet, je suis attendue. Puis le 14 juillet, je suis à nouveau attendue. Puis il y aura Papi et Mamie, puis Mathilde, puis Hélène et Bruno, puis Danièle et Daniel, puis Anne-Lise, Charlotte, Emeline, puis Emilien et consorts, puis Jérémy et consorts, avec je l'espère Aurélie et consorts sur le chemin... Bref. Le repos n'est pas pour tout de suite... Mais comment faire un Tour de France sans prendre la peine de m'arrêter chez les amis/la famille ?


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Ce soir, c'est chez Laure (copine du collège), Jérémy, Tom et Cléo que je pose mes sacoches. Pour les trouver, c'est facile. Ils habitent à Kerdroguen. C'est pas loin de Kerbodin, Kerhuel, Kerbernard, Keraudren, Kerruy, Kerandrono et Kerjaffray. Ça te parle ? Non, je t'ai perdu ? ... C'était le but ! (Ah ces bretons !)


Quand après une chouette soirée nous nous décidons enfin à quitter la table du barbecue, il me reste encore à réfléchir aux parcours des prochains jours. Nous sommes le 7 juillet. Le 11, je dois être chez Pascal à Saint-Malo. Quatre jours pour visiter la Bretagne. Autant dire rien du tout. J'étais déjà affligée de ne pas avoir le temps de faire Carnac, Concarneau, Quimper, Crozon, Menez Ham (sous peine de louper Pascal, qui part ensuite en vacances)... alors parole de scout, je vais tout faire pour aller à Perros Guirec, sur la côte de granit rose !

Colpo / Perros Guirec : 156 km en ligne droite. Sur deux jours, soit 78 km par jour.

Perros Guirec / Saint-Malo : 148 km en ligne droite. Sur deux jours aussi, soit 74 km par jour.

C'est beaucoup... D'autant plus que le parcours final ne sera pas en ligne droite, car ces lignes droites sont en général les routes à fort trafic. Donc je peux rajouter au bas mot 20 km par jour... Sans compter les éventuels détours touristiques...

Le deuxième problème, c'est que ça fait déjà quelques jours que je repousse l'heure de la vidange du boîtier Rohloff (mon système de passage de vitesse), et qu'il est hors de question que j'attende 400 km supplémentaires, alors que j'ai déjà 1000 km de retard sur l'entretien ! Cette vidange va bien m'occuper une heure demain matin... Pas de quoi gagner du temps, en somme.

Le troisième problème, c'est que j'ai déjà très peu dormi hier (Aaah ! Cette belle plage de la Mine d'Or !), et qu'il est minuit passé quand je pense à tout ça. Autant dire que je ne vais pas dormir beaucoup non plus cette nuit...

Vais-je vraiment tirer sur la corde encore quatre jours ? Eh puis avec un tel programme, aurai-je même le temps de visiter les endroits que je traverse ?

Une nouvelle fois, je m'arme de mon plus beau sourire à l'envers... et prends la décision la plus logique. Mais aussi la plus dure. Je n'irai pas voir la côte de granit rose...


La situation ne me convenant pas (mais comment faire autrement ??), j'essaie de trouver des points positifs. Et j'en trouve. Déjà, je vais pouvoir prendre un peu de repos, en faisant des journées plus courtes. Ensuite, ça me laissera plus de temps libre pour arpenter les plages entre Saint-Brieuc et Saint-Malo. Bon, c'est déjà pas mal, comme bons points.


Je ferme les yeux... et les rouvre cinq secondes plus tard. Mon réveil sonne déjà ! Et si je veux croiser la famille Dely avant leur départ matinal, il est l'heure de me lever !


Ma décision d'une visite succincte de la Bretagne étant actée, je consulte la carte touristique de la Bretagne récupérée à l'office de tourisme hier et prends connaissance des points d'intérêt entre Colpo et Saint-Brieuc. Ah tiens, l'Univers du Poète Ferrailleur, à une trentaine de kilomètres. Pas sur ma route du tout, mais maintenant, j'ai le temps ! Et je pourrais continuer sur une portion du canal de Nantes à Brest, qui peut être sympa. Puis... oh ! Josselin, ça a l'air chouette, ça !

C'est donc à défaut de granit rose que les roues de Hardie nous ont menées chez le Poète Ferrailleur... Et ce fut finalement un des coups de cœur de ce périple ! Ces maisons biscornues ! Ces couleurs ! Ces mécanismes enchanteurs ! Ces fontaines musicales ! Cette poésie ! Et ce que je retiens de cette visite, en plus des étoiles dans mes yeux, c'est cette phrase : "Homme... va ! Tu n'as le temps que d'une vie."