[Salut la compagnie ! C'est Hardie ! Laurène m'a proposé de m'exprimer devant vous, je n'ai pas pu résister...]


Avant même que le réveil de Laurène ne sonne, Chess fait des sprints autour du parc. C'est vraiment du pneu, de la regarder s'époumoner ! Véronique est déjà arrivée et s'attelle à ses tâches de chevrière. Daniel n'est pas là aujourd'hui, il a une cuisine à repeindre, nous avait-il prévenu hier.

Laurène trainasse un peu avant de rejoindre la bergerie. Il faut dire qu'hier soir, c'était soirée karaoké ! Toutes seules en pleine nature, elle a trouvé la guitare dans la caravane, avec pleins de paroles de chansons et leurs tablatures. Elle m'a expliqué que, c'est pas de chance, à force de ne plus en jouer, elle ne se rappelle plus des accords correspondant aux lettres... Et comme internet ne passe absolument pas... ce sera du a cappella ! On s'époumone, on teste des tandems ("non, on appelle ça des duos", me reprend Laurène), des canons, en sachant que personne n'habite à proximité... Bref, la belle vie, quoi !


Quand Laurène arrive dans la bergerie, les chèvres sont en train de se remplir la panse du foin apporté par Véronique, qui est maintenant en train de traire les mères. À la main. Enfin, "aux" mains, vu que les deux mains sont utilisées, dans un mouvement maîtrisé depuis longtemps. Elle en profite pour détecter d'éventuelles bizarreries (Unetelle n'a plus d'appétit ? A une grosseur sur la mamelle ? A bien guéri ?) Vient le tour des biquets, qui seront nourris au biberon, pour certains.

Tout le monde a mangé et a été trait ? Véronique amène le lait du jour dans la fromagerie. Toute de charlotte, blouse et surchaussures vêtue, elle s'occupe de préparer leur transformation en fromage, et de contrôler les fromages des jours précédents.

Il me semble qu'après ça, elle a le droit à une pause... À moins qu'il ne soit l'heure de nourrir les poules, les chiens, le chat et les chevaux ? Changer la paille de la bergerie ? Ramener un collier parce qu'un des chiens les a trop mâchouillés ?

En tout cas, pendant ce temps-là, Laurène a eu le temps de prendre ses photos, et de petit-déjeuner. Il lui reste un trognon de pommes, une chèvre va-t-elle en vouloir ? Ah, parce que oui ! Une chèvre, c'est délicat ! Tu en voudrais, toi, d'un trognon tout mâchouillé ? Eh bien elle non plus ! ... Finalement, le trognon est quand même dévoré par une gloutonne moins sensible que les autres !


Déjà hier, et encore ce matin, je vois Laurène se régaler d'aller gratter les oreilles de Kazan et Palù, les deux frères patous. Ils sont impressionnants comme ça, grands et grognant fort méchamment quand un inconnu arrive, mais dès lors qu'ils ont compris qu'on était de la famille, ils deviennent adorables.

Les chèvres ne sont jamais loin non plus quand elles peuvent se faire gratouiller ! Macha la première !


Tu le savais que les prénoms des chèvres, tout comme ceux des chiens ou des chats, étaient choisis en fonction d'une lettre attribuée chaque année ? Cette année, par exemple, on en est à la lettre T. D'où des biquets aux doux noms de Taffetas, Troglodyte (dite la Tía), les frères/sœurs (?) Tékitoi et Toitéki... Le plus rigolo étant de trouver de jolis prénoms en lien avec celui de la mère. D'où des lignées telles que Mistral/Rafale/Sirocco/Tramontane, ou Petit Lu/Rousquille/Sucre. Bien sûr c'est triste, mais la plupart des biquets vont finir à l'abattoir, alors même un joli nom peut ne tenir que quelques semaines... Mais que veux-tu, c'est comme ça qu'on obtient du fromage ! Il faut du lait... donc des biquets. Mais qui dit nourrir le biquet dit... plus de lait ! Et donc plus de fromages. Tu suis la logique ? Bref, c'est plus sûr de naître draisienne dans la vie...


Les chèvres et boucs ont fini de ruminer dans le parc et Véronique de boire son thé, il est temps de reprendre du service. Elle rentre dans la bergerie les biquets trop petits pour suivre la balade, met les cloches aux chèvres et boucs dominants, et c'est le Grand Moment de Chess ! La sortie du troupeau !

Tandis que Véronique, les 29 chèvres/boucs et les trois chiens empruntent le sentier qui les mènera à leurs lieux de broutades (qui changent chaque jour), Laurène ficelle les paquetages sur mes flancs et mon dos. Pour nous aussi, c'est le moment de partir.


À peine un petit col de passé, et Laurène s'arrête pour manger. Les œufs durs des poules de la chèvrerie ont l'air de la ravir. C'est fou comme vous mangez souvent, vous autres les humains ! Quel temps de perdu, quand même ! Enfin je ne me plains pas, Laurène m'a transmis sa passion pour la sieste... Alors au final, j'attends impatiemment ces pauses repas !


J'avertis Laurène que le temps passe vite. Plutôt que de mettre le site à jour, tu ne veux pas continuer, plutôt ? Sinon, on arrivera tard chez Chris et je n'aurai pas le temps de faire sa connaissance. Tu m'en as beaucoup parlé, alors j'aimerais bien la voir plus que cinq minutes...

Elle daigne m'écouter et nous reprenons donc la route.


Globalement descendant et vent de face, nous finissons par arriver à un carrefour crucial : à gauche Bargemon, à droite Bargème. Dites-donc, ils ont pas beaucoup d'imagination pour les noms de villages, ici ! Après un détour vers Bargème, village à ne pas louper, nous retouvons donc ce fameux carrefour pour prendre cette fois la direction de notre étape de ce soir : Bargemon. Mais avant d'y arriver, il nous faudra traverser l'énoooorme camp militaire de Canjuers.


Très bizarre, ce camp militaire. On y croise par exemple un village mort, avec ses nombreuses maisons vides, son église... D'est en ouest, le camp s'étend de Mons au lac de Sainte-Croix, et il est uniquement traversé par deux routes nord/sud ouvertes à la circulation sur ces 60 km. Et attention ! Quand on est sur la route, pas le droit de s'en écarter ! Laurène me lit les panneaux disposés très régulièrement sur les bas-côtés de la route. "DÉFENSE D'ENTRER", "DANGER DE MORT", "TIRS EN COURS", ça ne rigole pas... On nous renvoie vers les articles 413-5 et R 644-1 du code pénal, que nous sommes bien entendu allées lire. 1 an d'emprisonnement et 15'000€ d'amende, si nous osons poser un pneu sur autre chose que le goudron de la route.


Plus grand champ de tir d'Europe occidentale, 75'000 obus, 1'000 missiles et 1'600'000 projectiles y sont tirés chaque année. Apparemment, nous sommes tombées sur un des 45 jours annuels où rien n'est tiré... Je demande à Laurène à quoi ça sert, tous ces tirs. Elle n'a pas l'air de savoir et se borne à un "Qui veut la paix prépare la guerre." Oui, mais... c'est quoi, la guerre ? "La guerre, c'est comme la chasse, sauf que les lapins tirent aussi."


Nous en sommes là de nos réflexions quand au détour d'un virage, nous tombons pneu à nez avec... un gigantesque troupeau de moutons ! Il occupe toute la route, et les moutons sont encore nombreux à brouter sur les bas-côtés. Bref, ils n'ont pas l'air pressés de partir.

Occupée à observer le patou à l'air méchant qui s'avance vers nous, je n'ai pas pris le temps de les compter, mais bon, on est très loin de la trentaine de têtes de Véronique ! Cent ? Deux cents ? Plus ?

Je suis confiante, Laurène adore les chiens, elle va nous faire traverser le troupeau en moins de deux ! ... Un.... Un et quart... Un et demi..... Un et trois-quaaaaart........ Laurène, tu appuies quand, sur les pédales ?

Elle parle gentiment au patou méchant, qui est juste devant nous. Mais à peine fait-elle mine d'avancer qu'il se remet à grogner très agressivement et à montrer ses dents jaunes...

Il faut dire que le chien de troupeau a maintenant bien en vue les mollets de Laurène. Vous les avez déjà vus, les mollets de Laurène ? C'est pas d'la rigolade ! Ça lui ferait un bon quatre heures, et il en resterait encore pour ses copains. J'essaie de négocier avec Laurène. Et si tu lui laissais un mollet, pour qu'il nous laisse passer ? Regarde-moi, on s'en passe très bien de mollets, c'est pas vraiment indispensable... Bon... Ben non, elle y tient à ses mollets.


Une voiture arrive en sens inverse et parvient petit à petit à traverser le troupeau. Si seulement une voiture arrivait dans notre sens... Si nous ne passons pas par les côtés, ce n'est pas tant par peur de l'emprisonnement, mais plutôt car le terrain n'est pas praticable. Le temps de faire passer les sacoches, puis me porter moi en faisant le tour du troupeau, on va y passer une heure.


Une voiture repasse, toujours dans le mauvais sens. On a dû avancer de 20 mètres, mais n'avons pas encore réellement atteint le troupeau... Ah ? La voiture fait demi-tour ! Devant le regard éploré de Laurène, le conducteur et son passager ont compris le problème ! Ils reviennent à notre hauteur et nous proposent de rester proches de la voiture pour traverser le troupeau. Le patou méchant n'est pas encore prêt à lâcher les mollets de vue, et grognera tout au long de cette longue manœuvre, mais nous arriverons finalement entières de l'autre côté des brouteurs !

Nous remercions les conducteur/passager, tout en nous éloignant le plus vite possible de Mister Patou !


Plus rien ne nous retient maintenant pour rejoindre Bargemon et la maison de Chris. Et maintenant que nous avons atteint le col du Bel Homme... Yataaaaa ! La desceeeeeeente !